samedi 16 octobre 2010

Ecrire sur Oradour-sur-Glane

Dans le cadre d'un partenariat entre un forum littéraire et un éditeur, j'ai reçu Oradour-sur-Glane de Jean-Louis Marteil.
Je l'ai lu dès réception et d'une traite. Je n'ai pas pu lâcher l'ouvrage avant son terme. Il faut dire que le souvenir de la Seconde Guerre Mondiale est fortement inscrit dans mon histoire familiale, que certains ont souffert de la déportation pour faits de résistance par exemple.


Comment écrire sur Oradour-sur-Glane?
Comment beaucoup de gens, je connais le destin tragique d'Oradour-sur-Glane. Quelques jours après le débarquement en Normandie, une colonne de barbares, des Waffen SS, entre dans le village et massacre 642 (ou 644, on parle parfois d'un millier de victimes mais le nombre importe peu) personnes: hommes, femmes, enfants et d'incendie les bâtiments.
Pour les fictions, appelons ces livres qui ne sont pas écrits par des historiens et qui tentent de reconstituer les dernières heures des habitants en livrant dialogues, sentiments et réactions forcément reconstitués, seul le livre de Camille Mayram, Larmes et Lumières à Oradour qui constitue un panthéon de martyrs d'inspiration catholique semble avoir été publié. On n'oubliera pas, enfin, le film Le Vieux fusil. C'est assez paradoxal en fait car le massacre est inscrit dans notre mémoire collective. Peut-être l'ampleur, la stupidité et l'apparente gratuité du massacre peuvent l'expliquer.

Peut-on écrire sur Oradour-sur-Glane?
La question peut sembler absurde. Mais comment retranscrire une barbarie sans nom, celle devant lesquels les mots sont bien faibles? Et si nous avions été du mauvais côté, qu'aurions nous fait? J'ai apprécié que Jean-Louis Marteil écrive ces mots: « Se croire capable de commettre de telles horreurs, fût-ce dans des circonstances précises et sous la pression d'événements extérieurs à soi, c'est commencer à les comprendre... Les comprendre, c'est pouvoir les expliquer... Et les expliquer, c'est leur donner, même sans le vouloir, une raison d'être, c'est comme les admettre... De là à les excuser, à leur accorder la caution contestable de circonstances malheureuses, il n'y a qu'un pas que certains, aujourd'hui, forts du temps qui passe, n'hésitent plus à franchir (p. 86)».
Je partage cet état d'esprit: il y a des faits, bruts et brutaux, qui ne souffrent pas l'explication.

Doit-on écrire sur Oradour-sur-Glane?
Je ne suis pas un fervent partisan du devoir de mémoire. Je suis plutôt du côté des historiens, du côté scientifique, de la description froide. C'est ensuite à la conscience de chacun de réagir. La mémoire est trop sélective.
Pourtant, il faut écrire sur Oradour-sur-Glane pour se rappeler, se souvenir à quoi la barbarie peut conduire.
Jean-Louis Marteil nous entraîne sur ses pas dans la visite des lieux du massacre qui ont été conservés. Il évoque le contexte historique. Pas comme un historien mais avec ses propres armes: les mots, les images, la poésie. Le débarquement vient d'intervenir sur les côtes normandes: « La race des Seigneurs est enragée. Ils paieront, tous, sans exception. Les innocents, au hasard de la route, les enfants s'il le faut. La colère doit trouver à s'épancher, peu importe d'appartenir à la race des Maudits! On ne distingue plus rien dans ce magma que l'on tue, plus rien d'humain ne doit gêner la tragique fuite en avant des anges sombres à la dérive. Sur la longue route, tous vomiront la rançon de la défaite et de l'humiliation ».

Pourquoi lire Oradour-sur-Glane?
Disons-le tout de suite: certains effets m'ont semblé trop gros, ainsi la mention du myosotis à la fin de l'ouvrage, cette fleur dont le narrateur ne connaît pas les autres noms parmi lesquels... « ne-m'oubliez-pas ». Echo trop flagrant au panneau « Remember! – Souviens-toi! » qui est placé à l'entrée du village.
En revanche le mot est juste dans ce petit ouvrage. Le lyrisme -ce n'est pas un gros mot pour moi, je l'utilise au sens du dictionnaire de l'Académie française: oeuvres [...] où sont exprimées avec émotion, avec ferveur, des sentiments intimes - pourrait paraître déplacé mais il soutient le message de l'auteur. La poésie lyrique a cette force que lui conférait Victor Hugo dans sa préface des Contemplations: "Quand je parle de moi, je parle de vous!". Je ne me suis jamais rendu à Oradour-sur-Glane mais le narrateur m'y a conduit.
La vie tranquille brutalement brisée. Les témoignages repris comme ceux des frères Pinède épargnés par des soldats pour une raison inconnue (c'est cela aussi la barbarie: l'irrationalité, des décisions incompréhensibles). Les pérégrinations dans les rues, parmi les ruines.
Le narrateur imagine la vie d'avant dans ce paisible village. Ce n'est pas un village de résistants. On y vit, on y travaille, on y aime. On va y mourir en masse.
Le tramway, l'église, les granges, les lieux de vie devenus lieux de mort. La tentative de reconstituer ces petits bouts de vie dans des lieux marqués par la mort.
L'auteur exprime ses sentiments, reconstitue un passé brutalement détruit par la barbarie de quelques uns. Il y a certes de la spiritualité dans l'ouvrage mais l'auteur ne verse pas dans la martyrologie d'inspiration chrétienne comme c'est souvent le cas quand on ne sait plus quoi écrire  face à l'indicible.
Si je devais résumer en un seul mot ce petit ouvrage: « glaçant ». C'est le mot qui m'est venu dès les premiers chapitres.
Non la barbarie n'a pas de visage humain, c'est l'abolition même de l'humanité. Jean-Louis Marteil nous le rappelle. Laissons la parole à son illustre préfacier, Lucie Aubrac: « Je n’avais pas imaginé qu’un homme puisse faire sentir simplement avec des mots toute la splendeur d’une vie heureuse et la stupidité d’un massacre brutal et gratuit. »

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